Mise en évidence d’une protection des neurones de la rétine au cours du diabète par unemolécule anti-diabétique connue : le glibenclamide

Par Marianne Ber­du­go, doc­teur vété­ri­naire, doc­teur en sciences médi­cales, Centre de Recherche des Cordeliers

La pré­va­lence du dia­bète dans le monde – c’est-à-dire le nombre total de cas à un moment don­né — aug­mente constam­ment. On pense qu’elle pour­rait atteindre 7,7% de la popu­la­tion d’ici 2030, et 12% de la popu­la­tion dans les grandes villes américaines. 

Après 10 ans d’évolution de leur dia­bète, 50% des per­sonnes atteintes de Dia­bète de type 1 et 30% des per­sonnes atteintes de Dia­bète de type II, déve­loppent des com­pli­ca­tions ocu­laires appe­lées « Réti­no­pa­thie dia­bé­tique ». Ces com­pli­ca­tions atteignent la rétine qui est la fine mem­brane qui tapisse le fond de l’œil et qui nous per­met de voir. Lorsque ces com­pli­ca­tions se pro­duisent, l’acuité visuelle des per­sonnes peut se dégra­der, et ce, par 2 méca­nismes prin­ci­paux : la for­ma­tion d’œdème (qui est un gon­fle­ment d’eau) au centre de la rétine, appe­lé « œdème macu­laire », et la mort ou dégé­né­res­cence des « neu­rones » réti­niens, les photorécepteurs. 

A l’heure actuelle, le trai­te­ment de ces com­pli­ca­tions ocu­laires consiste à injec­ter de façon répé­tée, direc­te­ment dans l’œil, une solu­tion soit d’anticorps spé­ci­fiques, soit de cor­ti­co­sté­roïdes. Ce sont des trai­te­ments qui ciblent l’inflammation, l’œdème, les per­tur­ba­tions des vais­seaux san­guins réti­niens ; mais qui n’empêchent pas la mort des neu­rones de la rétine ni la perte de vision asso­ciée. La pro­tec­tion de ces neu­rones reste donc un enjeu majeur de la recherche sur les mala­dies oculaires. 

Le gli­ben­cla­mide est une molé­cule anti-dia­bé­tique connue appar­te­nant à la classe des Sul­fa­mides hypo­gly­cé­miants (médi­ca­ments qui font bais­ser le taux de sucre dans le sang). Fai­sant suite à des recherches amé­ri­caines chez l’animal, l’équipe du Pr Polak de l’Hôpital Uni­ver­si­taire Necker-Enfants Malades, à Paris, a récem­ment mon­tré que l’administration de gli­ben­cla­mide était capable, non seule­ment de trai­ter l’hyperglycémie (trop de sucre dans le sang), mais aus­si de réduire les atteintes neu­ro-déve­lop­pe­men­tales (manque de tonus mus­cu­laire, troubles d’acquisition de la coor­di­na­tion et de la pla­ni­fi­ca­tion des mou­ve­ments, dif­fi­cul­tés d’apprentissage, alté­ra­tions de la com­mu­ni­ca­tion entre le cer­veau et le corps) chez des enfants ou nour­ris­sons atteints d’une forme de dia­bète asso­ciée à ces troubles ; cela, en pro­té­geant les neu­rones de leur cer­veau.

Or, les neu­rones de la rétine de l’œil sont très res­sem­blants aux neu­rones du cer­veau. Notre équipe, diri­gée par Pr Behar-Cohen au Centre de Recherche des Cor­de­liers à Paris, vient de mon­trer, pour la pre­mière fois au monde, que l’administration de gli­ben­cla­mide à des ani­maux dia­bé­tiques pro­tège la struc­ture et la fonc­tion de leur rétine, réduit le nombre de cel­lules réti­niennes qui meurent (Figure 1), retar­dant et dimi­nuant ain­si les alté­ra­tions de leur vision.

Nombre de cel­lules de la rétine qui meurent

Figure 1 : Comp­tage des cel­lules qui meurent dans la rétine de rats adultes dia­bé­tiques trai­tés ou non par gli­ben­cla­mide en injec­tions dans l’œil : le trai­te­ment, à 2 doses dif­fé­rentes, réduit le nombre de cel­lules qui meurent

Chez les bébés pré­ma­tu­rés, dont le pan­créas est imma­ture, il n’est pas rare que se pro­duise une hyper­gly­cé­mie tran­si­toire. Or, même pas­sa­gère, cette hyper­gly­cé­mie peut entraî­ner des alté­ra­tions majeures de leur rétine, néces­si­tant chez cer­tains d’entre eux une inter­ven­tion chi­rur­gi­cale ocu­laire à quelques semaines de vie. Ces alté­ra­tions peuvent com­pro­mettre leur vision jusqu’à l’âge adulte.

Dans la suite du tra­vail pré­cé­dent, notre équipe a mon­tré que l’administration orale de gli­ben­cla­mide à des ratons nou­veaux-nés qui ont trop de sucre dans le sang, pro­tège les neu­rones de leur rétine qui sont alors moins nom­breux à mou­rir (Figure 2)

Figure 2 : Coupes de rétines et comp­tage des cel­lules vivantes dans la rétine de ratons nou­veaux-nés nor­maux (a), atteints d’hyperglycémie (b), et atteint d’hyperglycémie et trai­tés par gli­ben­cla­mide par voie orale ©. Alors que l’hyperglycémie réduit ce nombre, le trai­te­ment pro­tège les cellules

Nous avons éga­le­ment mon­tré que l’œil des Ron­geurs (adultes et nou­veaux-nés), du singe et de l’homme, contient en grande quan­ti­té des récep­teurs qui per­mettent au gli­ben­cla­mide d’agir loca­le­ment (Figure 3), même à de très faibles doses — doses qui ne suf­fi­raient pas pour faire bais­ser la gly­cé­mie. Le gli­ben­cla­mide agit donc par des méca­nismes autres que par la Nombre de cel­lules de la rétine qui meurent Pla­ce­bo Nou­veau-né hyper­gly­cé­mique Nou­veau-né nor­mal Nou­veau-né Hyper­gly­cé­mique + Gli­ben­cla­mide Comp­tage de cel­lules vivantes dans la rétine du raton nou­veau-né Nor­mal Hyper Hyper­gly­cé­mique gly­cé­mique + Gli­ben­cla­mide nor­ma­li­sa­tion de la gly­cé­mie. Pour com­prendre com­ment il agit pour pro­té­ger les neu­rones, nous avons mis en évi­dence de nom­breuses voies d’action poten­tielles. Elles passent par une dimi­nu­tion du stress oxy­dant, des modi­fi­ca­tions de l’inflammation, un blo­cage de cer­taines voies condui­sant à la mort cel­lu­laire dans la rétine ; enfin, la pro­duc­tion de fac­teurs connus pour pro­té­ger les neurones.

Figure 3 : Coupe his­to­lo­gique de rétine humaine (macla et fovea) mon­trant en vert la pré­sence du récep­teur qui per­met au gli­ben­cla­mide d’agir localement

Le gli­ben­cla­mide, qui est uti­li­sé pour trai­ter l’hyperglycémie chez l’adulte, et depuis peu chez l’enfant, se révèle donc un médi­ca­ment poten­tiel de la pro­tec­tion des neu­rones ocu­laires qui nous per­mettent de voir.

Nos tra­vaux chez le Ron­geur nous per­mettent de pen­ser que, pro­ba­ble­ment, les per­sonnes dia­bé­tiques qui prennent du gli­ben­cla­mide par voie orale, ont un pas­sage de la molé­cule dans leurs yeux, suf­fi­sant pour obte­nir cette pro­tec­tion, en plus de l’effet connu sur l’abaissement de leur glycémie.

En revanche, pour les per­sonnes qui n’ont pas d’hyperglycémie, mais qui néces­si­te­raient une pro­tec­tion locale de leurs neu­rones, dans la rétine – par exemple les per­sonnes atteintes de glau­come ou de mala­dies des vais­seaux san­guins réti­niens — il est néces­saire que soit déve­lop­pée une nou­velle for­mu­la­tion ocu­laire du gli­ben­cla­mide, qui pour­rait être, dans le meilleur des cas, sous la forme gouttes à mettre sur les yeux, mais plus pro­ba­ble­ment, sous la forme d’une nou­velle solu­tion injec­table dans l’œil. C’est ce sur quoi nous tra­vaillons à présent.

En résu­mé, le gli­ben­cla­mide, molé­cule connue et uti­li­sée dans le dia­bète, pour­rait dans le futur être employé comme « neu­ro­pro­tec­teur réti­nien », c’est-à-dire un médi­ca­ment qui retar­de­rait la mort des cel­lules de notre rétine dans diverses mala­dies ocu­laires, sau­ve­gar­dant ain­si plus long­temps nos capa­ci­tés visuelles.

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